Boulot boulot
J’habite dans ma petite ville de 15000 habitants depuis 2
ans maintenant, après avoir pas mal bougé après mes études. J’y ai rejoint mon
homme, prof, muté ici après le capes. Avant ça j’ai joué à la femme
indépendante et j’ai privilégié ma carrière, à 350 kilomètres. Je me suis rapidement
aperçue que là n’était pas ma priorité, et que je voulais entendre bougonner
Prince Bougon aussi la semaine, et plus seulement le week-end. Que je voulais aussi un
bébé bougon, et que les kilomètres allaient être durs à gérer dans cette
situation. Donc je me la suis jouée femme soumise et je suis rentrée à
la maison.
On a voulu lancer tout de suite le bébé. Mais il n’était pas prêt, alors il a
fallu attendre… Entre temps je me la suis jouée femme responsable et j’ai trouvé
un job bien en dessous de mes qualifications dans ma petite ville isolée. J’y
suis allée pleine d’espoir et de bonne volonté, j’en suis revenue presque
dépressive au bout d’un mois, résignée au bout de 3 à finir ce CDD
cauchemardesque avec le moins de dégâts possibles. Au bout de 8 c’était terminé
et le soir même j’aurai bien débouché le champagne, mais j’étais en cloque alors
je me suis contentée d’un diner aux chandelles non arrosé (de mon côté du
moins) avec mon cher et tendre.
Depuis pas de boulot (enfin si on excepte le fait de porter puis de pondre un
petit être vivant), sauf que je me suis fait élire adjointe au maire de ma
petite ville. Et mine de rien ça prend un temps monstre. Chaque matin, je
confie donc Crapaud à la crèche et je m’en vais guillerette faire mon devoir d’élue la joie
au cœur. Oui ça me plait bien.
Seul nuage noir : je suis toujours au chômage. Je cherche toujours du
boulot, mais avec la ferme intention cette fois de ne pas accepter n’importe
quoi juste pour faire plaisir à ma conseillère Anpe et faire baisser les stats.
Mais je crois que ma conseillère n’est pas d’accord avec moi… Encore une fois,
toute bête que je suis, je suis allée au rendez-vous pleine de bonne volonté (j’en
ai des tonnes, ça me vient de mon éducation). Mais elle a clairement annoncé la
couleur : sept mois à pondre un mioche, selon elle, c’est beaucoup trop
dans la vie d’une femme active. Ma conseillère est pas belle, avec des cheveux
gras, elle énonce des ordres d’une voix toute douce, comme si j’étais une gamine récalcitrante qu’il fallait mater. Après vérification, il s’avère qu’elle
m’a même raconté des bourres. Avant ma conseillère Anpe était gentille, jolie
avec des cheveux propres et vaporeux, souriante et compréhensive, on avait
envie de lui faire plaisir… mais elle est en cloque, elle aussi. Elle prend
même un congé de 3 ans, parait-il (ces bonnes femmes je vous jure !). Avec
la sorcière, j’ai la désagréable impression de rajeunir de 20 ans et de me
retrouver punie chez le proviseur. « Vous me copierez 100 fois 3 Cv
différents ! », « Vous irez en retenue / atelier de formation
toutes les 10 jours ! », et le plus rigolo : « Vous
accepterez des offres d’emploi à 50km de chez vous, m’en fout que vous n’ayez
pas de voiture, le train c’est pas pour les chiens ».
Bref, je sens qu’on va pas être copines toutes les deux. Je l’aime pas la
nouvelle. Et j’en ai marre d’être la bonne élève. J’ai bien l’intention, à 30
ans, de me la jouer femme volontaire.